Trading : un premier pas vers la structuration
InVivo, Axéréal et NatUp ont réussi à mettre sur pied une plateforme collective à l’export, Grains Overseas. Une alliance coopérative inédite dans le trading des céréales, mais qui reste a minima.Par Renaud Fourreaux
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N’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure, l’élan impulsé depuis six mois quant à la nécessité de structurer la filière export, a finalement payé. Le DG d’InVivo, Thierry Blandinières, avait bien sûr mouillé la chemise en appelant à fusionner les bureaux de trading : « Granit, InVivo, Lecureur, on est en compétition et, au final, on a été les rois pour détruire de la valeur entre nous sur les appels d’offres. Quelque part, les bureaux de trading français ne vont plus continuer à vendre à perte et à subventionner la filière [...] en faisant des péréquations sur d’autres métiers. Est-ce normal de continuer sur ce business model ? Je crois qu’il ne faut plus qu’un seul bureau de trading coopératif, une seule offre France, une seule réponse à un prix de marché, par exemple quand il y a un appel d’offres algérien. »
Cette sortie, accompagnée d’une promesse d’avancées significatives en 2019, coïncidait avec la publication d’une note du think tank Agridées intitulée « Filière céréalière française : construire une stratégie d’exportation », rédigée par Yves Le Morvan, qui y exerce en tant que responsable filières et produits. Son propos était clair : « Les guerres picrocholines, les comportements singuliers, les débats de répartition de marges ou plutôt de pertes entre coopératives et leur union ont éparpillé l’offre coopérative. Aucune construction collective n’a bien fonctionné. Aux coops, qui représentent 75 % de la collecte française, de relancer un projet structurant. » Et c’est vrai qu’il y a le feu face à l’explosion des expéditions ukrainiennes, russes ou argentines, et les comportements changeants d’un certain nombre d’acheteurs. L’initiative, cet été, de l’office saoudien d’assouplir son cahier des charges pour ouvrir la porte au blé russe en atteste. Et la destinée du blé français est toujours suspendue à la décision d’Alger d’ouvrir aussi son marché à la Russie.
La surprise NaTUp
Dans ce cadre, la création de Grains Overseas est présentée par Thierry Blandinières comme « une prise de conscience collective, une première étape structurante avec trois acteurs incontournables du grand export ». Cette plateforme réunit InVivo Trading et Granit négoce (Axéréal), deux bureaux de trading, mais aussi, plus surprenant au premier abord, NatUp, qui n’a pas d’activité de trading en tant que tel. À Mont-Saint-Aignan, nous dit-on, « c’est vrai qu’on ne fait que du fob, on ne va pas jusqu’au bout. Mais pour nous, l’idée, ce n’était pas tant de fusionner les bureaux de trading que d’avoir une force de frappe importante à l’export. C’était évident qu’il fallait en être. » « NatUp n’est pas là pour son silo portuaire Simarex, mais pour apporter des céréales et garantir à ce bureau qu’on ait suffisamment de marchandises à livrer à nos clients pays tiers, reprend Thierry Blandinières. Avec plus de 2 Mt de collecte, NatUp a un poids très fort dans le sourcing sur l’hinterland de Rouen. » Toutes deux adhérentes d’InVivo, Axéréal et NatUp vont aller au-delà des engagements traditionnels contractualisés dans le cadre de l’union, « au minimum 800 000 t chacune, garanties pour l’export ». Et puis, elles portent le risque avec InVivo à hauteur de leur actionnariat dans Grains Overseas, 20 % chacune. De son côté, InVivo continue d’avoir ce rôle de drainer vers les ports la marchandise d’une trentaine de coops via sa plateforme numérique InGrains, puisque Grains Overseas intervient après, dans la commercialisation du fob à destination.
On aurait pu en revanche imaginer que Sénalia soit dans ce tour de table initial, l’union ayant également un discours très proactif sur la mutualisation. « Nous avons toujours milité pour un rapprochement des outils coopératifs du port de Rouen, commentait Thierry Dupont, président de Sénalia lors de la dernière AG. En 2018, 50 % du chemin a été effectué, avec le partenariat avec Lecureur. Je ne doute pas que nous arriverons à franchir les 50 % restants. » À comprendre, rallier Simarex (NatUp). Ce qui visiblement n’a pas encore abouti.
On peut donc avoir le sentiment que deux blocs se construisent : un axe trading mené par InVivo et Axéréal (qui ont des intérêts aussi dans les silos portuaires), alliés à NatUp, et un axe logistique avec Sénalia, qui gère dorénavant les silos Lecureur. « On ne cherche pas à mélanger les deux métiers, le trading et la logistique portuaire, qui doivent être des centres de profit séparés, estime Thierry Blandinières. Même si cela doit être coordonné : notre plateforme de trading va travailler avec l’écosystème de silos portuaires. » Les deux sujets participant à la structuration de la chaîne du grain.
Assez logiquement, les structures de trading nationales non coops, comme Céréalis, qui cible les moulins privés d’Afrique subsaharienne (en collaboration avec BZ Grains), Transgrain (davantage orientée blé dur), ou l’atypique CAM négoce, ne sont pas de la partie. De même que Soufflet négoce, qui n’a aucune raison de faire alliance. Il est aujourd’hui le moteur de l’export vers le Moyen-Orient et l’Afrique, et continue d’investir dans les capacités portuaires et dans l’allotement sur mesure, à La Pallice comme à Rouen. Le leader a réalisé en 2017-2018 17 % des exportations françaises de céréales (22 % sur les seuls pays tiers). Reste donc Lecureur, filiale de la Scael, qui à ce stade n’a pas souhaité rejoindre l’alliance (lire p. 6).
Granit, InVivo : fin de la compétition
« Il fallait déjà franchir la première étape qui n’est pas anodine, tempère Thierry Blandinières. Granit négoce n’est plus un concurrent d’InVivo trading. Quand on connaît l’histoire du monde coopératif, celui-là est important. » Lorsque Granit était à vendre il y a vingt-cinq ans, c’est Epis-Centre (précurseur d’Axéréal) qui avait récupéré cette société de négoce export à la barbe d’InVivo. Néanmoins, n’est-ce pas « une alliance entre deux malades », comme la décrivent certains. Les deux se sont retrouvés à bout de souffle dans leurs modèles et ont eu du mal à relever la tête à un moment où le négoce international a pris le bouillon. Elles n’ont tout simplement plus la taille critique pour faire ce métier toutes seules. À titre d’exemple, InVivo Trading, qui a opéré un changement de business model et qui vient de fermer son bureau de São Paulo, n’a traité que 3,3 Mt à l’international en 2017-2018, en fort retrait par rapport à l’exercice précédent (10 Mt). Son CA est passé sous la barre du milliard d’euros.
Pour le collectif, on repassera
« C’est un bon démarrage mais c’est quand même le périmètre le plus réduit possible, tacle un observateur. On a le minimum. Lecureur n’est pas dedans. Il faut aussi élargir le tour de table avec des coops apporteuses de grain. C’est un premier pas, mais ce n’est pas demain la veille qu’on va refonder la supply chain. Par ailleurs, si ça peut se comprendre qu’il n’y ait pas l’orge de brasserie, qui mobilise une logistique et des acteurs différents, c’est moins le cas pour le blé dur. « Ce n’est pas simple, c’est un petit marché aujourd’hui », balaye Thierry Blandinières.
Il y a quelques mois, Stéphane Bernhard, alors DG d’InVivo Trading, et dont le départ n’a pas été une condition pour former l’alliance selon Thierry Blandinières, nous confiait à ce sujet : « Il faut démarrer sans avoir la prétention de faire le grand soir. Il est difficile de trouver un accord entre tous car les intérêts sont différents. Mais cela ne peut se faire qu’en créant une réalité. Il faut un moteur de négoce (des moyens financiers et des prises de risques) qui tire la chaîne logistique. »
« Ce projet a le mérite d’exister et peut remplir une fonction, avance Pierre Duclos, ex-InVivo, ex-Lecureur, aujourd’hui expert chez Agri Trade Consulting. La difficulté, c’est de transformer l’essai en efficacité économique. Reste à voir comment ils structurent le business, c’est une question de modus operandi. »
« J’espère qu’on n’aura plus de pertes structurantes, objective effectivement le DG d’InVivo. Depuis le début de campagne, sur les appels d’offres de l’Algérie, on a relancé des volumes dans de meilleures conditions. On n’est plus sur des dégradations de -2 ou -3 €/t par rapport au marché. On va essayer de trouver maintenant le point d’équilibre économique avec une équipe dédiée. » Cette dernière est basée dans les bureaux d’InVivo Trading à La Défense, sur le même plateau que le desk oléagineux. Constituée de 12 personnes dont 3-4 traders, elle accueille deux traders de Granit, dont Christelle Tailhardat qui pilotera le blé tendre. Un patron pour la plateforme sera recruté d’ici début 2020. Selon Thierry Blandinières, « ce ne sera pas un trader, mais un manager qui connaît certes le commerce de grains mais qui sait animer des équipes de traders et gérer des centres de profits ».
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